Sophia Pétrovna
À TOUT LIVRE
juin 2007
Il y a eu Hans Fallada (Seul dans Berlin) pour décrire le climat kafkaien fondé sur la peur par le régime nazi, il y a Lydia Tchoukovskaia (1907-1996) pour parler de la vie quotidienne dans la Russie soviétique des années trente, également basée sur la peur, la suspicion, l’incompréhension.
Sophia Pétrovna vit à Léningrad. Après la mort de son mari, elle acquiert la profession de dactylographe et obtient un emploi, qui l’enchante, au sein d’une des plus grandes maisons d’édition. Sophia a un fils, Kolia, dont elle est très fière : c’est un bon garçon respectueux, travailleur, qui ne boit pas, dévoué au gouvernement soviétique et au Parti, tellement bon komsomol que sa photo paraît à la Une de la Pravda. Mais un jour, Kolia est arrêté. Pour Sophia, c’est évidemment une erreur : « Dans notre pays, il ne peut rien arriver à un homme honnête ». S’employant à obtenir des nouvelles de son fils, elle découvre un monde qu’elle n’avait pas remarqué jusqu’à présent, à une demi-heure de marche de la maison d’édition : un monde étranger peuplé de femmes attendant elles-aussi des nouvelles d’un proche...
Une écriture simple, sans effet de style : pas d’analyse, pas d’explications, seuls les personnages expriment leur point de vue... C’est un roman écrit sur le vif, sobrement, vaillamment, dans la clandestinité en 1939-40, sur la trace encore fraîche d’événements survenus en 1937 dans la vie de Lydia Tchoukovskaia. Publié en russe à Paris (il ne paraîtra en Russie qu’à la fin des années quatre-vingt), il bénéficia d’une première traduction en français en 1975 (sous le titre "La Maison déserte", ed. Calmann-Lévy). Épuisé depuis longtemps, Sophie Benech nous permet de le découvrir dans cette superbe nouvelle traduction.
Florence Lorrain
LE TEMPS
Avril 2007
À redécouvrir dans une nouvelle traduction et sous la séduisante couverture d'un éditeur de perles rares, nous revient Sophia Pétrovna. Ce petit récit d'une impeccable sobriété, écrit en 1939 alors que le mari de l'auteur était en déportation, est l'une des très rares fictions qui thématisent sur le vif les grandes purges staliniennes. Il pourrait être le pendant russe du fameux Inconnu à cette adresse de Kressman Taylor. L'histoire de Sophia Pétrovna est celle de milliers de femmes de Leningrad, ou de centaines de milliers de citoyens de l'URSS, abusés par les discours officiels vertueux et paternalistes. Veuve, elle élève seule son fils. Elle est fière de lui et de ses succès. Fière aussi de son travail de secrétaire dans une maison d'édition, et de sa participation à l'immense effort collectif qui va permettre à son pays de résister au fascisme. Cette vie intègre vacille en quelques jours, les arrestations vaguement motivées de tous ses proches vont lui révéler l'envers sinistre de sa ville, les queues devant les prisons, les individus broyés par l'arbitraire, le désespoir absolu. La bonne foi, ici, était-elle de l'aveuglement ? La seule survie possible ?
Marion Graf