Publié en 1926 dans la célèbre revue littéraire Novy Mir, ce petit texte d'une grande originalité stylistique a été immédiatement perçu comme un brûlot. Il raconte, dans un style cinématographique et saccadé, l'histoire d'un commandant de l'armée Rouge que les autorités obligent à se faire opérer d'un ulcère, et qui meurt sur la table d'opération.

Bien que l'auteur se fût à l'époque défendu d'avoir tiré son sujet de la réalité, tout le monde reconnut dans le personnage principal Frounzé, héros de la guerre civile et commissaire du peuple, mort dans les mêmes conditions, et dans le personnage sans nom qui l'oblige à cette opération funeste, Staline qui était alors en train de s'emparer du pouvoir.

Ce récit qualifié de « contre-révolutionnaire et calomnieux à l'encontre du Comité central et du Parti » et immédiatement censuré (tous les numéros de la revue déjà en circulation furent confisqués et détruits) est l'un des premiers textes littéraires à décrire de l'intérieur la machine infernale de la révolution broyant peu à peu ses enfants, et à réfléchir sur la fuite en avant que provoque le déchaînement de forces incontrôlables.

Mais ce n'est pas là son seul intérêt. Sa puissance presque hallucinatoire tient avant tout à ses qualités littéraires et à son incroyable modernité : nous voyons défiler une succession de faits et d'images sur lesquelles se focalise, avec la froideur et la précision d'une caméra, le regard d'une lune affolée qui assiste aux actes étranges des hommes dans une ville-machine parcourue d'automobiles folles.

 

Le Conte de la lune non éteinte, paru en français aux éditions Champ libre en 1972, était épuisé depuis des années.